Ossip Mandelstam, Eté froid

Publié le par frédéric poupon


 

 

L’art poétique de Mandelstam

 

                                                            
« En me privant des mers, de l’élan, de l’envol,

 

Pour donner à mon pied l’appui forcé du sol,

 

Quel brillant résultat avez-vous obtenu,                                                          

 

Vous ne m’avez pas pris ces lèvres qui remuent. »

 

                                                                                                  

 

 Mandelstam, Cahiers de Voronèj

 

 

Si nous avons oublié que la poésie, c’était avant tout le vers, nous savons néanmoins que tout ce qui est versifié n’est pas poétique et que, depuis Baudelaire, l’écrivain est poète lorsqu’il réalise le vœu d’« une prose […] musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter au mouvement de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ».

 

Ainsi l’écrivain russe Ossip Emilievitch Mandelstam, dans son œuvre où la prose abonde, ne cessa jamais d’être poète, lui qui fonda l’acméisme en compagnie de Anna Akhmatova et Nikolaï Goumilev, courant littéraire qu’il définissait comme « la nostalgie de la culture universelle ». On peut d’ailleurs considérer que ses nombreux textes en prose gravitent autour des trois recueils qu’il a composés : Pierre, paru en 1912 ; Tristia en 1923, dont les poèmes annoncent ironiquement, par la référence à Ovide, l’exil au cours duquel il écrira en 1935 et 1937 les Cahiers de Voronèj , œuvre ultime et acmé. Révolté contre le symbolisme russe, Mandelstam accorde une place centrale au mot non plus seulement considéré comme phénomène acoustique, mais aussi comme réalité architecturale : les mots sont des pierres, « voix de la matière » autant que matière de la voix.

 

La parution d’Eté froid aux éditions Actes Sud propose au lecteur français un mélange des différents aspects de l’œuvre prosaïque de Mandelstam. En effet, « Les impressions de Crimée » d’Eté froid ou la réflexion sur « le style scientifique de Darwin » évoquent le Voyage en Arménie ; « le matin de l’acméisme » renvoie à l’important De la poésie qui expose l’art poétique de Mandelstam ; le premier récit « La pelisse » est très proche de l’énigmatique Timbre égyptien ; les courts blocs de pensée sur l’époque qui composent Le Bruit du temps se retrouvent dans Eté froid sous la forme de notes sur le théâtre.

 

Tous ces textes conduisent à embrasser l’œuvre et le destin du poète. Judicieusement organisés en différentes sections (« Proses courtes » ; « Poésie, Littérature » ; « Théâtre » ; « Essais » ; « Esquisses » ; « Comptes rendus »), ces articles d’intérêt divers témoignent du style singulier, rugueux souvent et métaphorique de Mandelstam et proposent donc une bonne introduction à l’ensemble de son œuvre, qui est remarquable à plus d’un titre.

 

Associé à la fondation de l’acméisme, poète merveilleux, Mandelstam s’inscrit aussi dans une lignée de grands écrivains qui, à travers les âges, se lisent et s’inspirent. Paul Celan lui dédie son recueil La Rose de personne comme celui-ci évoquait Dante ou Villon ; c’est qu’un poème s’adresse toujours à quelqu’un, à un « destinataire inconnu ».

 

         Martyr du stalinisme, il terminera sa vie en 1938 du côté de Vladivostok dans un camp de transit aux portes de la Kolyma, après avoir subi toutes les humiliations et toutes les privations. Mais à tout, et cela Contre tout espoir. » comme l’écrira sa femme Nadejda, il aura opposé sa voix, car « il ne vivait pas pour la poésie, il vivait par elle. Il lui était donné de savoir avant de mourir que la vie c’était l’inspiration

 

Frédéric Poupon


 

Charles Baudelaire, « A Arsène Houssaye »,  Petits Poèmes en prose.

Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, « Cherry-Brandy ».

Publié dans Notes de lectures

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